Critique Cinéma - Only Lovers Left Alive (Jim Jarmusch)

Publié le 22 Mars 2014

Crédits photo : © images tirées du film

Jim Jarmusch, réalisateur entre autre de Broken Flowers et Ghost Dog, la voie du samouraï, s'attaque avec Only Lovers Left Alive au mythe du vampire moderne, très en vogue ces dernières années mais hélas surtout abordé dans des films pour adolescent (Twilight, Underworld...). Pour incarner les héros immortels avides de sang frais, il fait appel à Tom Hiddleston (désormais mondialement connu pour son rôle charismatique de Lokki dans les productions estampillées MARVEL) et à Tilda Swinton (vue récemment dans The Grand Budapest Hotel). Il sont accompagnés dans leur solitude crépusculaire par Mia Wasikowska (la Alice de Tim Burton) et par Anton Yelchin (vu dans la saga Star Trek de J.J. Abrams). Le film a été présenté en sélection officielle au Festival de Cannes 2013.

Critique Cinéma - Only Lovers Left Alive (Jim Jarmusch)

Adam, vampire depuis des siècles est en plein dépression à cause du comportement des humains. Il est alors rejoint par Eve, sa compagne de toujours qui tentera d'apaiser ses maux. Mais l'arrivée d'Ava, la petite sœur sans limites d'Eve, va perturber encore plus les choses...

Le projet vampirique moderne de Jim Jarmusch avait quelque chose d'alléchant surtout grâce à un casting surprenant composé du frère maléfique du dieu du tonnerre et d'une femme caméléon capable de jouer tous les âges sous tous les costumes. Tom Hiddleston et Tilda Swinton, 33 et 53 ans respectivement jouent ici Adam et Eve, deux vampires multicentenaires éperdument amoureux. L'un vivant à Detroit, l'autre à Tanger, leurs styles de vie sont bien différents et n'ont qu'en commun qu'une certaine marginalité.

Instantanément, Jarmusch arrive à nous charmer, à nous hypnotiser tels les vampires de True Blood, grâce à la mise en place d'une ambiance nocturne et désertique, délicieuse et intemporelle. La nuit, tous les chats sont gris mais chez Jarmusch, les bâtiments prennent tous les couleurs chaudes de la lumière des lampadaires ou alors sont irradiés par la lune. Le tout est sublimé par une bande son mémorable mêlant rock mélancolique et musique du monde qui, au final, colle parfaitement aux deux styles de vie de nos personnages. Le premier mène une vie de rockeur solitaire, entre composition et passion pour les instruments rares qu'il se procure par le biais de Ian (Anton Yelchin), un humain grand fan du personnage. La deuxième mène une vie de bohème de l'autre côté de l'Atlantique au Maroc,accompagnée par le dramaturge Christopher Marlowe (John Hurt) qui se révèle être vieux vampire qui la fournit régulièrement en sang de qualité. Elle ira rejoindre son bien-aimé dans son antre après avoir rêvé de lui, signe qu'il allait mal. L'arrivée d'Ava, véritable pile électrique, va chambouler l'ancienne ville industrielle de Détroit. Mia Wasikowska interprète avec talent cette jeune vampire âgée "seulement" de quelques siècles dont le tempérament adolescent va à l'encontre des principes de ses aînés qui privilégient la discrétion derrière leurs lunettes de soleil.

Mais, malgré tous ces éléments perturbateurs, leur alchimie reste imperturbable et plus forte que tout. Car la beauté du film, en plus de son ambiance, réside dans la relation presque magique entre Adam et Eve, couple faisant référence à celui de la Bible mais avec une Terre pervertie comme habitat au lieu d'un magnifique jardin. Ensemble depuis ce qui est pour nous, simples mortels, une éternité, ces deux érudits adorant la natur sont liés par une force étrange qui intervient aussi bien à distance par une sorte de sixième sens ou bien lorsqu'ils sont on ne peut plus proches et que leurs corps fusionnent presque dans un plan d'une beauté à couper le souffle.

D'une originalité indéniable, le film nous livre un portait assez étrange du vampire loin de ce qu'on avait l'habitude de voir avec le Dracula de Coppola ou le Nosferatu de Murnau. Il y a un véritable effort de démystification du vampire grâce aux détournements de ses fondements populaires. Autrefois créatures maléfiques craintes de tous, ils sont ici des reclus de la société, se mélangeant rarement aux "zombies", terme disgracieux pour désigner l'espèce humaine qui a depuis longtemps perdu son statut de simple poche de sang sur pattes. En effet, à eux d'être craints aujourd'hui, à cause des maladies qu'ils véhiculent dans leur sang autrefois si pur. Les vampires sont donc habilement définis comme une espèce en voie de disparition, à la recherche de sa dose de sang à la manière d'un camé et de son héroïne.

Véritable OVNI, Only Lovers Left Alive est un pur moment de poésie porté par deux acteurs au sommet de leur art qui jouent ici l'alchimie des âmes à merveille. Avec sa photographie nocturne magnifique sublimant les villes désertiques et sa bande-son mélancoliquement rock, on tient ici un grand film original et rafraîchissant... comme une bonne coupe de sang.