Critique Cinéma - La Crème de la Crème (Kim Chapiron)

Publié le 6 Avril 2014

Crédits photo : © images tirées du film

Crédits photo : © images tirées du film

Kim Chapiron, fondateur (avec Romain Gavras) du collectif Kourtrajmé, est un véritable outsider dans le club fermé des réalisateurs français. Après un premier thriller intitulé Sheitan avec Vincent Cassel en 2006 et Dog Pound un film choc sur les prisons de mineurs en 2010, il revient cette année avec La Crème de la Crème, toujours porté par cet élan sulfureux qui l'accompagne depuis ses débuts puisqu'il est question de prostitution au sein d'une prestigieuse école de commerce. Pour incarner ses trois héros, il est allé piocher dans la jeune génération et a ainsi réuni Alice Isaaz (parfaite dans le récent Fiston), Jean-Baptiste Lafarge (Les Yeux de sa mère) et Thomas Blumenthal (qu'on retrouvera bientôt à l'affiche de Babysitting).

Critique Cinéma - La Crème de la Crème (Kim Chapiron)

Kim Chapiron a dit un jour qu'il était un adepte des films transgenre et lorsqu'on observe son dernier bébé à la loupe, on ne peut qu'être d'accord avec lui. Mais avant de sortir la notre loupe pour jouer les Sherlock Holmes, accordons à dire que transgenre, ici, n'est pas qu'un simple mélange des genres, comme si l'on ajoutait une pincée de sel dans l'eau des pâtes bouillante sur le feu, non. Ici ce terme barbare signifie un véritable mariage des genres où chacun possède une importance à peu de chose près similaire et surtout, de la pertinence. Car il serait très réducteur de résumer La Crème de la Crème comme un teen movie à la American Pie (pour son côté débauche) à l'aura Zuckerberg post The Social Network (pour son côté business et école) et teinté d'un peu de proxénétisme (pour son côt.. non, juste pour ses prostituées) en sachant qu'il est en fait autant film de gangster que film d'amour.

Étonnamment, ces deux genres en général opposés fonctionnent plutôt bien ensemble et permettent à la fois de donner du rythme et une dimension plus intime et émotionnelle. Pourquoi un film de gangster? Parce que, comme exposé (un peu trop) dans la bande-annonce, la base du film tient en l'application d'une théorie apprise en cours dans une prestigieuse école de commerce, le tout prenant forcément la forme d'une activité illégale mais extrêmement lucrative : la prostitution. On assistera donc à la montée en puissance d'un petit groupe d'élève, le club des amateurs de cigares comme ils se font appeler, de leurs premières expérimentations sur leur camarade au physique ingrat jusqu'à leur exportation, le tout avec humour et sans concessions. Et c'est aussi par celle-ci que l'on entre par la porte de derrière dans le milieu étudiant, et pas seulement celui des business schools. Car non, les BDE et les soirées arrosées où l'on chante en chœur Les lacs du Connemara ne leurs sont pas réservés.

Un film d'amour, vous êtes sûrs ? Oui, absolument, et c'est même le thème central du film. En effet, par le biais des mésaventures de Dan, Kelliah et de Louis, La Crème de la Crème pose beaucoup de questions sur l'amour (Qu'est-ce que l'amour et quels en sont ses critères?) et aborde même les liens qui existent entre les sentiments, le physiques ou les différences de classes sociales. Beaucoup de pistes différentes qui se croisent tout au long du film et qui peuvent malheureusement parfois perdre le spectateur concernant son but ultime mais qui se révèlent au final être extrêmement intéressant et pertinent. Il est aussi important de souligner le paradoxe entre l'habileté de nos trois jeunes gens à appliquer leurs cours sur les relations des autres et leur propre incompétence à être heureux en amour. Dommage en revanche que la grande romance du film soit si convenue et si laborieuse à se concrétiser.

Critique Cinéma - La Crème de la Crème (Kim Chapiron)

Le film doit aussi beaucoup à ses acteurs, principaux ou non, comme Jaffar le comic relief, un étudiant très porté sur le sexe, interprété par Karim Ait M'Hand ou Eulalie (Marine Sainsily), la belle parfumeuse qui prend vite goût à la lucrativité de ses activités nocturnes. Mais c'est véritablement le trio de tête composé de Dan, Kelliah et Louis, qui tire son épingle du jeu. Tous différents, ils permettent chacun d'aborder une vision de l'amour ce qui au final les rend très attachant, Dan particulièrement. Avec un physique peu conventionnel et une situation financière très aisée qui l'handicapent, il a du mal à imposer ses qualités et se sent incompris par ce milieu très superficiel. Contrairement à Louis qui, avec son physique et ses qualités d'orateur, ne rentre jamais seul le soir. Mais cette popularité apparente cache en fait une profonde solitude. Solitude qui atteint aussi Kelliah mais pour différentes raisons. Cette dernière n'arrive pas à trouver sa place dans le monde élitiste que sont les écoles de commerces, surtout à cause de sa situation financière. A part ça, d'autres têtes connues font de brèves apparitions comme Mouloud Achour en DJ.

Enfin, la bande originale du film composé par Ibrahim Maalouf (à qui on doit celle d'Yves Saint Laurent entre autre) est un mélange d'électro, de piano et de cordes et rend particulièrement bien. A cela s'ajoutent plusieurs soundtracks qui peuvent à première vue être contradictoires mais qui représente parfaitement le paysage musical de ces soirées endiablées. On ne sera donc pas surpris de voir du Justice, du Sébastien Tellier et du Sebastian se mélanger à du Michel (Sardou, Fugain ou Berger) et du Rachid Taha.

"Tu vas voir un monde que t'as jamais vu et que t'aurais jamais dû voir"

"Tu vas voir un monde que t'as jamais vu et que t'aurais jamais dû voir"

Vendu comme sulfureux, comme un pur teen movie à la française et redouté pour le portrait négatif qu'il aurait pu construire des écoles de commerce, La Crème de la Crème de Kim Chapiron n'est au final pas si trash et critique mais il n'en perd néanmoins pas son intérêt qui est de tisser un portait juste et complet de la jeunesse d'aujourd'hui autour de l'amalgame souvent fait entre sexe et amour. Il doit aussi beaucoup à ses jeunes acteurs, Alice Isaaz et Thomas Blumenthalen tête, et aux rôles complexes qu'ils interprètent.

Rédigé par Ronan SAUVAGE

Publié dans #Critique cinéma

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