Critique Cinéma - Only God Forgives (Nicolas Winding Refn)

Publié le 23 Novembre 2013

Crédits photo : © images tirées du film

Crédits photo : © images tirées du film

Attention, ce texte contient de nombreux spoilers.

Nicolas Winding Refn est un réalisateur danois à l'oeuvre cinématographique de qualité surtout connu pour son travail sur la trilogie Pusher. Mais ce n'est qu'en 2011, suite à l'immense succès critique et commercial de Drive, que sa côte de popularité grimpe en flèche. En Mai 2013, il revient au Festival de Cannes pour présenter son dernier né, Only God Forgives, toujours avec Ryan Gosling dans le rôle principal. L'attente était grande et pour certains, la déception l'était encore plus. En effet, en plus d'avoir été en partie sifflé lors de sa projection officielle à Cannes, le film divise très largement le public. NWR déclarera que "L'art est fait pour diviser, car si l'art ne divise pas, et s'il ne pénètre pas, vous ne faites que le consommer". Car oui, Only God Forgives est une véritable oeuvre d'art, certes difficile à appréhender, mais qui mérite d'être vue.

Critique Cinéma - Only God Forgives (Nicolas Winding Refn)

Crédits photo : © images tirées du filmJulian (Ryan Gosling) et Billy, deux frères, dirigent un club de box thaïlandaise à Bangkok, servant en réalité de couverture pour leur trafic de drogue. Suite au meurtre de Billy, Crystal (Kristin Scott Thomas), la mère des deux frères, débarque et exige vengeance envers les personnes responsables, dont fait partie un policier de haut-rang au sens de la justice assez radical.

Rarement un film ne m'a autant captivé. Je suis sorti de la salle complètement bouleversé et dans l'impossibilité d'aligner deux mots, comme étourdi par tant de beauté. Après une dizaine de minutes à me remettre de mes émotions, j'ai enfin pu discuter du film avec la demi-douzaine de personnes qui m'accompagnaient et le verdict était bien cruel : la grande majorité n'avait pas aimé. "Trop de violence, trop lent, scénario maigre, pas mon genre...". Mon avis différait totalement et je pensais qu'ils étaient passés à côté du film et de ses thèmes. Avant de le voir, je m'attendais à une sorte de Drive II asiatique ultra-stylisé. J'ai eu le droit à quelque chose de radicalement différent mais de beaucoup plus fort..

Après visionnage, l'aspect purement visuel est ce qui revient d'abord en mémoire. Cette abondance de néons rouges et bleus donne au film une véritable personnalité. Ces couleurs subliment des lieux déjà très esthétiques (ce magnifique couloir tapissé de motif dragon ou le bar karaoké) et donnent à la ville de Bangkok un aspect intemporel, renforcé par la bande originale de Cliff Martinez (qui avait déjà opéré sur Drive) mêlant habilement synthétiseurs et sonorités traditionnelles. On perd toute notion du temps et d'espace dans cette ville labyrinthique où la nuit dure des jours et où il est si facile de se perdre.
On est clairement dans la définition du cinéma : un récit véhiculé par des images. Ici, comme dans ses deux précédents films, très peu de dialogues (NWR dit lui-même trouver les dialogues pas forcément intéressants) mais beaucoup de choses racontées d'une façon peu conventionnelle, à l'opposé total des standards ultra-explicatifs.

En dehors de cette histoire de vengeance, OGF nous raconte le voyage teinté de mysticisme de Julian, dont le but est de trouver son identité. Il nous est introduit par son impuissance avec la jeune Mai qui ira ensuite bien au-delà du domaine sexuel et touchera toutes les actions qu'il entreprendra. En effet, il est impuissant face aux événements qui se déroulent devant ses yeux et se trouve être aussi enchaîné par une mère tyrannique à cause d'un complexe d’œdipe (elle lui a demandé de tuer son père). C'est d'ailleurs cette dernière qui va le pousser dans cette sanglante vendetta. Il croisera alors la route de Chang, le dernier homme à abattre pour enfin crier vengeance.

Ce policier possède un sens très radical de la justice. Il est à la fois juge et bourreau et ses exécutions ressemblent fortement à un rituel (punition au sabre suivi d'un karaoké). Cet ange de la mort est un personnage presque irréel, comme en témoigne sa capacité à faire apparaître son sabre de nulle part. Il se prend pour Dieu mais contrairement à lui, n'est pas capable de pardonner tant il est impartial. Néanmoins, il semble être clément envers Julian. A leur première rencontre, il a su d'un seul regard qu'il n'avait pas tué le meurtrier de son frère.

Leur affrontement représente le combat d'un homme contre Dieu, un combat qui semble perdu d'avance. Pourtant, à la fin du film, quand Julian se fait couper les deux bras, on n'éprouve pas les mêmes sensations qu'auparavant. Tout d'abord, la scène, extrêmement lumineuse, se déroule en plein air, ce qui contraste avec les situations précédentes. De plus, la violence n'est cette fois pas montrée. On peut donc supposer que Chang n'a pas puni Julian mais lui a accordé une certaine liberté en coupant ses liens invisibles. Pendant tout le film, les avant-bras de ce dernier sont quasiment toujours montrés individualisés de son corps : Ils sont le symbole de son impuissance et de sa servitude.

Après un final sublime étonnamment calme, on ressort difficilement du film comme on sortirait d'un rêve merveilleux...

Only God Forgives est donc selon moi un des must-see de cette année. Il transcende totalement le concept de film et s'impose comme une véritable oeuvre d'art de part son traitement visuel époustouflant et son ambiance mystique, sa mise en scène novatrice et surtout pour ses symboles forts, traités avec brio. Pour preuve de l'ambition de Nicolas Winding Refn, juste avant le générique de fin, on peut lire " A Alejandro Jodorowski" : petite dédicace à un cinéaste qui, de son temps, a bouleversé les codes du cinéma.

Rédigé par Ronan SAUVAGE

Publié dans #Critique cinéma

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