Critique Cinéma - The Canyons (Paul Schrader)

Publié le 16 Mars 2014

Crédits photo : © images tirées du film

Crédits photo : © images tirées du film

Après plusieurs projets avortés, le réalisateur (American Gigolo, Mishima...) mais aussi scénariste (Taxi Driver, Raging Bull, La dernière tentation du Christ...) Paul Schrader et l'écrivain Bret Easton Ellis (le roman American Psycho, c'est lui) décident de financer eux-même leur prochain long-métrage grâce à leur argent personnel et ceux des fans via un projet Kickstarter. Ils récoltèrent ainsi 160 000$ de don (sur les 100 000$ espérés) et ajoutèrent 90 000$ de leur poche pour un total de 250 000$. C'est certes peu dans le milieu du cinéma américain mais assez pour mener à bien leur projet,The Canyons, avec en têtes d'affiche la sulfureuse Lindsay Lohan et l'acteur pornographique James Deen. Sorti en Juillet 2013 en VOD aux USA et descendu par la critique, le film a néanmoins été sélectionné hors compétition à la Mostra de Venise 2013 qui s'est déroulée fin Août et début Septembre 2013. 

 

Critique Cinéma - The Canyons (Paul Schrader)

Ryan, jeune acteur fauché de Los Angeles est engagé dans le petit film d'horreur indépendant de Christian grâce à la petite amie de ce dernier, Tara, avec qui il entretient une romance secrète. L'équilibre instable de ce triangle amoureux va vite être bousculé lorsque Christian, manipulateur avide de domination, commencera à émettre quelques doutes sur la fidélité de Tara...

Le casting est sans doute l'élément le plus surprenant du film. Avec un budget total d'un quart de million, il n'était pas possible de faire des folies et d'engager des acteurs bankables. Paul Schrader s'est alors tourné vers l'internet pour trouver ses acteurs ainsi que l'aide de ses amis. C'est ainsi que Gus Van Sant a obtenu un rôle. Pour engager James Deen, un acteur porno au palmarès incroyable de plus de 1400 productions, Paul a totalement fait confiance à Bret qui lui assurait avoir écrit le rôle du riche producteur Christian spécialement pour lui. D'abord méfiant, Paul laissa James faire quelques essais et tomba sous le charme de cet acteur étrangement professionnel et collant parfaitement au rôle. En effet, les deux types de rôles qu'il joua dans ses nombreuses productions pornographiques (le boy-next-door et le violeur dominateur) correspondent exactement aux facettes de Christian qui après avoir montré un côté tendre se révélera être un monstre avide de pouvoir et de domination. A l'inverse, le recrutement de Lindsay Lohan a été différent et plus compliqué. Après avoir entendu parler du film grâce à du bouche-à-oreille, l'ex-star Disney désormais habituée des frasques est persuadée de voir en lui le film de sa carrière et se fait alors engagée, même pour un salaire dérisoire de 100$ par jour. Mais ses sautes d'humeur et ses retards à répétition perturbent aussi bien les acteurs que le tournage. Paul a dit lui-même : "avoir Lindsay sur le plateau relevait du miracle". Néanmoins, à l'écran, elle nous livre une performance de très bonne qualité et son personnage semble être le reflet d'elle-même, c'est-à-dire une jeune femme incapable de gérer ses relations avec les autres. Elle nous prouve ainsi qu'avant tous les scandales, il y a d'abord une actrice. Dommage que cette personnalité oubliée ne sorte pas plus souvent...

L'histoire écrite par Bret Easton Ellis, malgré une supposée simplicité, a des allures de film noir et se révèle passionnant. Tara, femme fatale qui fait tourner les têtes, déchaînera malgré elle les passions et se retrouvera tiraillée entre deux hommes, l'un doux mais fauché et l'autre riche mais dominateur. La domination est en effet un thème qui revient souvent et la plupart des relations entre personnages s'évaluent selon un rapport de force. Ils passent tous à un moment de la position de dominant à celle de dominer, que ce soit physiquement (majoritairement pendant l'acte sexuel) ou psychologiquement. On pourra néanmoins regretter un côté un peu cheap qui fait parfois penser à un épiode des feux de l'amour.

Côté ambiance, la comparaison avec l'immense David Lynch était inévitable, notamment avec Lost Highway et surtout Mulholland Drive. Bien-sûr, le style du maître est inimitable et il est peu probable que le tout aussi grand Paul Schrader puisse avoir voulu le reproduire mais on y retrouve quand même quelques similitudes comme cette façon de filmer une Los Angeles fantomatique presque irréelle. On retrouve aussi quelques touches de rétro-futurisme avec une B.O. electro très planante grâce à l'utilisation majoritaire de synthés. Au niveau de l'image, le film nous propose quelque chose de plutôt intéressant. Un des thèmes du film, la mort du cinéma traditionnel, nous est constamment rappelé que ce soit grâce à des plans fixes de salles de cinéma délabrées ou grâce au grain de l'image qui rappelle le cinéma amateur. De plus, ce grain s'adapte parfaitement au syle rétro-futuriste qui, associé à quelques lasers verts et rouges, donne de magnifiques scènes irréelles.

Avec une production catastrophique relatée en direct dans la presse à scandale, des acteurs en perdition ou peu habitués des vrais plateaux et un budget minimaliste, on pouvait craindre le pire pour The Canyons. Mais c'était sans compter sur le talent de Paul Schrader et sur l'écriture sombre de Bret Easton Ellis. En ressort au final un film plus qu'honorable, certes pas franchement marquant mais étonnamment passionnant grâce à une ambiance presque Lynchesque, qui ne méritait pas une telle lapidation par les critiques US.

Rédigé par Ronan SAUVAGE

Publié dans #Critique cinéma

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